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Shhrzde
26 octobre 2007

le chaînon manquant

(Episode 65)

                        From: Mariën de Orr
                              Sent: 22 Novembre. 12:16
                              To: Stefan Reisinger 

Stefan, prends pitié de moi, de nous trois. Nous pleurons. Nous la pleurons. Il ne l'a pas dit, mais elle est partie.

Je faisais tant confiance à Bruno, à mon boss, à nous tous, à notre énergie, à notre fougue à rouler notre petite pierre pour dévier le fleuve du monde vers l'estuaire d'une mer plus chaude, plus douce pour tous. Et voilà. Nous avons brûlé les ailes de l'une d'entre nous. Pas meilleure pas pire qu'une autre. Mais elle n'est plus là.  Une douleur aïgue m'enserre le crâne d'un anneau de remords. Impuissants à la réveiller, à la ramener à nous. Je suis une gourde, l'un est désespéré, l'autre poursuivi de remords plus amers que la mort pour toujours, et réciproquement. Tous les trois penauds, idiots, autour de son réflex, boitier de plastique noir abandonné sur la moquette. Un cube sans clic, une boîte sans oeil derrière, un caisson vide de joie.

Flash-back 30 min avant. Bruno saute par dessus la table, pour attraper Alexeï par le col, lui gueule en pleine face "Dis moi où elle est ? Dis moi ce que tu as fait d'elle sauvage ? C'est quoi le problème avec tes plans en chinois ? Si jamais tu lui as fait perdre un seul de ses cheveux de sa précieuse tête, je te...". Je tente de m'interposer, pauvre andouille. Beau résultat, Alexeï se sauve lui même en me tordant le bras dans le dos, prise de self defense, je suis otage de la bagarre des deux autres. Pathétique.

Chacun ravalant sa douleur de ses muscles tordus par les poings crispés de l'autre. On écoute tendus. Alexeï déballe. Oui les photos magnifiques, c'est la participation visible de Marta au projet H2O tel que je le comprenais moi, mais non elle était pas venu pour agglomérer ses talents à mon entreprise médiatico-provocatrice loufoque. Non, Alexeï n'y croit pas non plus d'ailleurs à mon succès,  d'ailleurs tous ses projets à lui escomptent un  réchauffement de 5 à 7°C. Oui, Marta était venu fouiné dans ces fameux autres projets. Oui, elle est venue chez lui et y a pris les photos compromettantes des plans du vrai projet H2O sur lequel il investit tout : une ville-insulaire en forme d'iceberg artificiel, qui voguerait en eaux internationales, parfait pied à terre pour adeptes de  paradis fiscal, de territoire a-politique aux frontières parfaitement étanches et contrôlable, pas de problème la demande ne manque pas. Cette arche de Noé aurait ouvert grand ses soutes pour les riches se carapatant d'un Shanghai envahi par la montée brusque des océans dilatés de chaleur ; Oui Marta avait découvert qu'il avait signé un contrat de joint venture avec des entrepreneurs chinois pour leur acheter les quantités astronomiques de charbon qui auraient propulsé cet utopique territoire, pariant que le  pire adviendra et poussant ainsi à le réaliser dans ses plus grandes largeurs ; Oui il a eu peur que Marta ne dévoile sa grande affaire à ses concurrents à l'affût de l'idée rentable ou pire, des enquiquineurs de réchauffer en rond comme Mariën qui auraient tout retardé ; Oui Alexeï a joué à cache cache avec Marta un moment, lui donnant l'occasion de prendre des photos des preuves qui l'accableraient lui pour se donner du temps de la neutraliser, elle.  Puis, il compris qu'il devenait dépendant de la lumière qu'elle irradiait autour d'elle comme une colline de neige nimbe la nuit de clarté limpide ; alors Oui, il a improvisé pour la coincer un plan pas trop au point, mais qui aurait pu marcher. Il savait que l'appel du grand air, à l'écart des échangeurs et des villas encerclés de barbelés et de gardes-shoot-to-kill la tenterait forcément. Il l'a donc conduite sur la côte pour une excursion dans les terres de la Wild Coast, ils ont dormi bons potes dans des cases entre les champs de patates douces érodés, ils ont galopé sur la plage où d'innombrables crabes translucides font des arpèges infinis dans une fine pellicule de vagues ridelées, il était même presque heureux, mais il s'est ressaisi, les affaires sont les affaires et les affaires c'est toute sa vie. Alors oui, il a voulu lui faire le chantage de son corps souple à elle contre l'abandon de ce projet à lui, la chair de sa chair, cette ïle qu'elle abhorrait d'offrir un cocon calfeutré où le non-droit des eaux internationales aurait fait fleurir de nouvelles vénéneuses lianes auxquelles les hommes se serraient étranglés les uns les autres ; Oui, il l'avait tant pressé de répondre à son chantage qu'elle s'était enfuie au milieu de la nuit, elle avait négocié difficilement un passage en barque aux paysans malingres de l'arrière pays, la remontée de la Hluhluwee River par l'intérieur des terres privées des afrikaaners paranoïaques, gardées de pit-bulls et de haies de carabines, un sacré risque de prendre le chemin des maraudeurs dans un terrain miné pareil, mais elle avait foncé. Oui il avait lui aussi pris une barque pour la poursuivre, la rattraper.

Mais. Il y a un mais. Dans la mangrove, les tiges moussues d'algues et de déchets plastiques, le passeur avait arrêté sa godille. On n'entendait plus que les friselis à la surface de l'eau glauque frôlée par les ailes rapides des chauve-souris pêcheuses. C'était très mauvais signe. L'emprise de la peur empêche de respirer, les ongles s'enfoncent dans le bois de la bordure écaillée de la coque. En une fraction de seconde, le regard vaseux de l'homme qui mâche du khat a longueur de jour s'allume d'une brillance brûlante, les lèvres fiévreuses de celui qui vit depuis ses 10 ans le corps nu se gonflent de pourpre, la misère crachée à la face des autres par le fin lambeau de son marcel dépenaillé qui ne pend plus qu'à une seule épaule depuis des lustres souligne des pectoraux douloureusement contractés. Pour un homme avec la rage de prendre la place d'un autre, ou même seulement les ray bans d'un autre plus fortuné,  jeter Alexeï par dessus bord c'est un geste aussi léger que de jeter d'une pichenette un mégot dans le clapot de la barque.

Un plongeon, ici, de nuit, c'est finir bodysnatché par les défenses acérés d'un hippopotame luttant hargneusement pour son territoire ou déchiqueté à patauger dans une forêt d'épieux tranchants, les racines de palétuviers remontantes et les lianes hirsutes de pointes vénéneuses. C'est se perdre mort de soif d'eau potable si loin des puits des villages, et si près des zones de contrebande avec le Mozambique que personne ne lui tendra une main pour le sortir du marigot. Oui, le cerveau Alexeï n'a jamais computé aussi vite le coût et les bénéfices de sa prochaine proposition, il a sorti des trésors de tchache pour re-négocier le prix pour son passage, entier cette fois. Alors, il est revenu sur la côte, pantelant de trouille mais il y est arrivé. De retour à son monde californien de Jo'bourg, il a gardé la tête complètement et rigoureusement vidée de cet épisode.  Il s'est barricadé la tête pour continuer à construire le business plan de son île comme si de rien. Il a réussi à ne plus se laisser éfleurer du désir absolu de revoir sa "guest star", sa divine absente. C'était très dur, mais il est un homme un vrai, il l'a prouvé. Alors, ce matin, dans le centre, au marché des DVD copiés et des contrefaçons de sacs luxueux, il a fait nonchalammant signe à son chauffeur de s'arrêter. Sur un étal entre les coquilles clinquants de téléphones et d'iPod, un boîtier noir mat comme un silex antédiluvien était égaré dans la pacotille nouvelle génération. Il s'est pris à sourire à retrouver aussi fraîche dans sa tête l'image de cette belle photographe qui lui avait filé entre les doigts comme une belette sous un buisson. Il a lâché le paquet de billets de rands qu'il fallait et il a emporté son trophée, elle était quand même un peu à lui, même si elle n'avait pas voulu craquer pour lui. Oui, il s'en veut de l'avoir laissé fuir, peut être à sa perte. Non on ne pouvait pas la retenir, si elle a eu des ennuis, elle l'a bien cherché, c'est tout ce qu'il a à dire, c'est tout ce qu'il dira, même un magnum sur la tempe. Cut.

Stefan, je crois que je vais m'occuper de Bruno, il devait s'attendre à quelque mauvaise nouvelle, quelque part il devait savoir que ce n'était pas du bon ce qu'il attendait et désirait connaître si fort. N'empêche il est foudroyé. La vie suffoque en lui, cherche à s'étouffer, c'est affreux. NON. S'en fout la mort et le désespoir, je vais le tirer de là, je crache sur Alexeï, trop de gâchis déjà. De ton côté, débrouille toi avec ce que je t'ai raconté. Je ne sais plus où est le chemin, ni le mien, ni le tien. Déjà que je ne savais pas avant alors bon vent.

M.

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T
Marta est vivante, j'en suis sur. Elle est certainement en train de se prendre une cuite avec le cuistot Chinois au pied de l'Eurebus, en jouant au Mah Jong.
Shhrzde
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