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Shhrzde
26 octobre 2007

Ice tower dance

(Episode 62)
                              From: Solentiname Tschinag
                              Sent: 22 Novembre
                              To:    Bruno Tschinag 

Très cher Bruno,

Extérieur nuit, j'ai très froid. Ce matin, on avait quitté le camp 2 à l'aurore.


En boule, les vibrisses du bord de ma capuche en fourrure de castor cristallisent une par une, mais je veux pas bouger. Les premiers cent mètres de montée, on slalomait encore entre les lavas bombs, une allée des sorcières en champignons de phenocrystaux K-feldspath, j'aurais eu le temps d'entrouvrir le chapeau de ces boules pour admirer encore la croissance des torons de granit, refroidis si rapidement dans un air si sec en étranges formations dendritiques ; tout ce temps là, les pointes des skis de Stefan se dépassaient à peine l'une l'autre à chaque pas.


Je t'écris, le laptop, sa précieuse batterie et mes mains emmaillotées dans ma doudoune sans manche. J'étais préoccupée, nous avons fait une pause barre de chocolat, je voulais pas paraître la mama qui chouchoute, j'ai biaisé un peu pour deviner s'il était à nouveau étreint par les maux de têtes et le malaise nauséux de l'altitude "Tu vois, là on passe les Nausea Knob", les trois tiges d'alu que tu vois c'est une station sismique, mais au pied, il y a un puits qui pulsent des bouffées de métaux lourds, de quoi se sentir un peu chargé, tiens c'est peut être par là que tu t'es échoué dans la tempête, tu t'es pris une lampée de pollution et...". J'avais dû dire un mot tabou, il m'a transpercé d'un regard noyé d'anxiété, de febrilité intérieure : "Il faut monter, allez, je te suis."


Une nuée d'étoiles prodigieuse vacille seconde après seconde, le pôle glisse à contresens sous la voûte céleste, je pianote, distille mon désarroi touche à touche, avec une honte profonde et insubmersible de faire appel à toi quand j'ai peur, quand je ne sais pas comment je vis. J'ai recommencé la trace, dans une neige qui encourage le voyageur, se tasse dans le bruit assourdi de polystyrène fracturé, il me suivait maintenant sans souci, talonnait même souvent l'arrière de la coque de ma pulka. On a vite rejoint l'emplacement du camp 2.


Pourquoi la nuit est si belle ? Pas de vent coulis qui s'insinue aux bordures de la cagoule, la calotte de neige étincelle, des goutelettes de froid pollinisent le ciel tout doucement, l'air sera satûré de grains de gel à la prochaine aurore, mais pas avant une poignée d'heures. Tu vois mon coeur et mon corps tranchés en deux, une ravine affaissée au milieu ? La voilure tubulaire fasseyait fort quand on a monté la tente dans un forêt de fumerolles congelées, des panaches de geisers hivernaux, fossiles d'explosion vaporeuse immortalisée par une gangue de gel instantané, les ramures de cristaux étirés dans le sens des vents dominants, la face au vent étrillée d'érosion, des grandes vigies de glace blanche, pins farrio décolorés sur col de montagnes corses translucides. On avait maladroitement erré entre ces fumerolles, nos bottes Sorel avaient laissé une rimbambelles de plops dans la neige profonde en tournant autour, on avait cherché la plus acharnée à monter au ciel, la plus éraflée de sillons de vent, la plus souffrée (on goûtait du bout de la langue les plus petites chandelles de glace). Le souffle rapide de gambader les pieds écartés en canard pour ne pas s'enfoncer trop dans la profonde, on était revenu à la tente, pour pas transpirer. Ici suer, c'est geler immédiatement après tu sais.


On me devine à peine dans l'obscure clarté. Me vois tu encore Nouk ? Je porte un masque, je voudrais danser pour l'envoyer valser. La casserole remplie de neige était sur le réchaud, on avait changé de chaussettes, on s'était presque rien dit de la journée, notre compagnonage rieur, heureux, instinctif irradiait de mon coeur à mes rêves. Je vaquais entre les caisses pour retrouver le miel. Et puis,


Stefan : Solentiname, tu m'as l'air d'une fille posée. Tu cours après quoi ici ? Ces nuits enserrées d'un froid à pierre fendre vont parcheminer ta peau de bébé, pourquoi tu fuis sur le 77ème de latitude Sud tous ceux qui ont envie de toi, de se chalouper contre ton corps, de croiser leurs souffles dans tes lèvres ouvertes au détour d'un escalier ?


Moi : Non, Stefan. ce n'est pas ça que tu veux, n'est ce pas ? Ce n'est pas ça ta question. Ta question, c'est toi, que cherches tu à fouler la neige avec une rage à t'étouffer de vertiges ? Regarde toi risquer ta vie à vouloir voir à travers le whiteout polaire. J'ai plaisir à être ta compagne pour égréner ce triolet de camps, poussée par le sentiment que finir cette sortie de montagne te dépouillerait d'un peu de cette fébrilité qui t'a fait passé tout à côté du gouffre dont on ne remonte pas.


Stefan: Je crois que je suis déjà aux Enfers, avec une fille qui rêve les yeux ouverts. Une fille qui n'exprime aucune curiosité pour un maboule à ranimer. Une fille qu'un inconnu persuade de monter inutilement à un sommet exposé. Une fille qui n'a même pas peur d'avoir peur d'être seule avec un type fragile nerveusement pour une course engagée, sans secours. Une fille qui dort à poing fermé en touchant de tout son long le corps d'un gars qui lui soutient mordicus avoir dégringolé d'une vire alors qui n'existe nulle part.


Moi: Stefan, pourquoi tu m'cherches ? C'est quoi ton problème ? T'es chiant dès que tu dépasses les 3000m ? Je peux te dire qu'on va redescendre dans ce cas. Oust, sans lambiner comme ce matin. Je suis vraiment une sombre andouille à me trimballer vers les crètes avec un abruti qui gâche une journée carrément exceptionnelle, tu as dix mille fois raison.


Stefan: Non, nooooon, non, Soli, c'est pas ça. Pardon, pardonne moi, laisse moi t'expliquer. Je sais pas mentir, je peux pas, je fais que ça, je te mens à toi sur mon accident, à ma cops qui m'envoie ici à qui je pipote des rencontres avec des chinois pour cacher ton existence, je m'embrouille moi même, leurre ce à quoi je crois.


Moi: De quoi ???? Je capte absolument rien. C'est exceptionnel ton ivresse des profondeurs à l'envers.


Stefan: Mais bordel ! Il te faut quoi pour atterrir ! Tu t'étonnes pas que je t'ai bassiné pour qu'on prenne mon pulka et qu'on laisse le tien en dépôt alors que c'est toi qui le tire finalement puisque tu as plus la caisse ? tu te demandes pas d'où je peux tirer le fric pour me payer une expé polaire alors que je suis étudiant en médecine ? ça percute pas que je suis pas clair pour me barricader derrière des piles de polaires pour écrire un mail sans que tu vois ce que j'écris sur ton ordi ?


Moi: Tu pourrais rester correct, on n'a pas gardé les cochons ensemble. Bordel. Et puis, ça va sûrement décevoir ta petite fierté, mais je m'en tape pas mal pourquoi t'es là et comment tu t'es débrouillé pour venir et combien de fans en délire attendent ton retour triomphal. Parce que ça m'impressionne pas plus que ça que tu sois venu seul ici. Et moi, j'y suis pas kif kif que toi ?


Stefan: Soli, écoute moi, c'est pas de l'orgueil, j'ai une bombe dans mon pulka, Soli.


Moi: Ben voyons, t'es grandiose toi...


Stefan: Soli, sur ma vie, sur la tienne. Jte promets. C'est pas un bobard. C'est du terrorisme écolo. C'est pour accélérer les négociations en décembre prochain à Bali, pour forcer à un accord Post-Kyoto. c'est pas censer exploser, juste donner l'idée. Mais c'est ce qu'on m'a dit. Je leur ai menti, pourquoi ils m'embobineraient pas de leur côté ? sur leur honneur, ils ont promis de pas faire de mal à une mouche, je suis censé être un petit soldat discipliné du terrorisme écolo non-violent. Mettre tout en place pour leur permettre de menacer de faire une explosion artificielle de l'Erebus comme mesure d'urgence pour rafraîchir le climat qui s'emballe avec un nuage de particules volcaniques provoqué. Mais moi, dans mon tout petit coin, je leur ai pipoté que j'avais croisé des alpinistes chinois et pas toi. Qu'est ce qui me garantit qu'à leur tour...


Nouk, je voulais en avoir le coeur net, je suis sortie à la belle étoile, j'ai ouvert le fond de son pulka. J'ose plus rentrer dans la tente maintenant. J'ai plus de batterie, Nouk.

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