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Shhrzde
4 septembre 2007

Re: Dis moi quoi ?

(Episode 39)
                              From: Solentiname Tschinag
                              Sent: 4 Novembre
                              To:    Bruno Tschinag

BrunO,

à toi qui croit que je vagabonde ici : j'ai passé les derniers jours à tourner entre les postes de mon campement : descendre dans la faille pour prendre des échantillons de glace constellée de sédiments, prélever, étiqueteter, puis se hisser sur les cordes pour revenir à la surface avec tout le matos, observer au microscope et faire les tests sur l'âge de la glace qui emprisonne mes terres rares, transférer toutes les données dans le PC, puis compiler et re-compiler le modèle de dérive du glacier, corriger les fatal errors, corroborer toutes ces infos et pister les zones du lit rocheux d'où toute cette poussière précieuse a été rabotée, évaluer la probabilité d'exploiter le gisement à coûts raisonnables et l'ampleur de l'incertitude associée. J'ai pas levé une seconde la tête, et certes, il ne valait mieux pas essayer de regarder plus loin qu'entre les bords de la capuche : ça pulse sévère depuis plusieurs jours. J'ai même dû réorienter le mur en blocs de neige pour dévier des coutures de ma tente les tourbillons les plus acharnés.

C'est tellement facile ici, je sais tellement où je vais : rien qu'au claquement des penons attachés sur le haut de mes bâtons, je sais si la force du vent est compatible avec mes propres forces. Rien à voir avec la mesure objectives en nombre de noeuds. C'est une connection au plus profond de mon corps entre la puissance de sifflement entre les masses d'air qui se pourchassent et la puissance que peuvent déployer mes muscles des cuisses et des épaules pour avancer entre ces turbulences. Et là, c'était définitivement trop fort pour sortir à découvert. Mais aucun problème de rester confinée au campement : voir la frontière de ce qui au-delà de mes forces à chaque instant comme un horizon net, c'est le bonheur total !

Je ne l'ai pas trouvé d'instinct cette connection, à chaque expé il faut la réactiver. Laisser frissoner son corps sur toutes les longueurs d'onde pour guetter les imperceptibles chuchotements qui grésillent sous la surface d'une plaque à vent. Et entendre ainsi à temps si elle va exploser dans la pente en avalanche. Voir les ombres trembler subrepticement aux pliures des séracs. Et deviner si on peut traverser avant ou après que le glacier va les pousser d'une pichenette et les précipiter dans un grand écroulement. Tu vois, maintenant je vais rester encore un tout petit peu, pour faire durer le plaisir de me trouver à ma place, pour savourer la chance d'être dans une situation où calculer mon effort et adapter mes ambitions du jour sur les innombrables contraintes qui se chahutent autour de moi est un jeu d'enfant.

Près du centre de recherche de Cergy Pontoise, tu sais, j'allais souvent faire ma pause déjeuner assisse en tailleur au bord de l'étang artificiel où je m'entraînais aussi parfois au kayak. Quand j'avais trop la flegme de me mettre à l'entraînement physique, j'y regardait les grèbes huppées plonger et ressortir une longue tige d'algues au bec. Je les épiais, elles traversaient des distance énormes sous l'eau. Des milliers d'années d'évolution les ont dotées de plumes étanches et pattes palmées idéales bien sûr. Mais leurs apnées erratiques se coulaient quand même merveilleusement dans le paysage du lac : leur prunelle traversée d'un éclat furtif, elles basculaient sous la surface verte, et une bulle qui blobait délicatement là où elles avaient disparues chantait qu'elles avaient commander l'impulsion parfaite à leurs pattes pour glisser vers la vase avec juste ce qu'il fallait d'effort. J'étais bien jalouse de les voir se faufiler comme ça dans leur vie, les turbulences qui leur glissaient sur le bord des plumes.  Tandis que je perdais la trace de mes propres désirs et de mes propres capacités à chercher si j'étais vraiment à la hauteur de la complexité des missions qui m'étaient échues au boulot ou, pire encore, des attentes bienveillantes que exprimaient mes amis envers moi. Plus souvent qu'à l'envi, confrontée à l'évidence que j'étais bien loin d'avoir adapté mon comportements pour être en harmonie avec les circonstances et les gens qui m'entourent, j'étais un peu perdue, triste parfois, toujours déterminée à essayer encore autrement demain.

Alors, pour une fois que je frôle l'état d'équilibre, que la pression de mes envies compense les mouvements d'air sur ma peau, et avant que l'inexorable fatwa de la gravité newtonnienne ne me rattrape, je vais prolonger un peu ma trace ici. Ne m'attends pas à Bangkok Nouk, je suis sûre que tu vas débusquer l'empreinte de Marta, même au coeur d'une fourmillière thaïe, même si des sirènes blondes ou black grisent tes sens au cours de l'enquête.

Soli.

ps : je n'ai pas eu le courage de te parler de mes hommes. c'est dur tu sais. une autre fois peut être ?

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Commentaires
M
on peut avoir la fiiiiiiin????stppppppp!!!! :-)
Shhrzde
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